Françoise Thiébault est Secrétaire générale des Associations Familiales Laïques de Paris et membre du Conseil Supérieur de l’Energie. Elle soutient avec conviction que faire croire au consommateur que l’on peut encore bloquer l’évolution du prix de l’énergie n’est plus possible et déplore la mauvaise communication des pouvoirs publics et des professionnels sur les enjeux de l’efficacité énergétique. Démonstration.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Conseil National des Associations Familiales Laïques et le Conseil Supérieur de l’Energie ?
Le Conseil National des Associations Familiales Laïques est un mouvement laïc qui en tant que mouvement familial se préoccupe de la vie quotidienne des familles. Nous sommes une association de consommateurs agréée qui accompagne les familles en difficulté, notamment avec leurs consommations liées à l’habitat et à l’énergie.
Je suis également l’une des deux représentants des consommateurs au Conseil Supérieur de l’Energie (CSE). Le CSE est une instance consultative qui réunit les acteurs de l’énergie – fournisseurs, industriels, ONG, élus, consommateurs… – et qui doit émettre des avis et recommandations au Ministère en charge de l’énergie sur tous les décrets et arrêtés liés à ce secteur avant leur publication. J’exprime les positionnements du consommateur, encore insuffisamment pris en considération…
Les consommateurs sont-ils assez informés sur les enjeux et dispositifs d’aide à la performance énergétique ?
Il y a un manque de communication alarmant sur tout ce qui touche aux travaux d’efficacité énergétique. Les familles n’ont aucune vision globale des dispositifs car les pouvoirs publics et les professionnels ne communiquent pas là-dessus. La plupart des familles par exemple n’ont pas la moindre idée de ce qu’est un « certificat d’économie d’énergie ». Un de mes collègues a bénéficié d’un chèque de 500 euros pour l’achat de sa nouvelle chaudière grâce à un CEE mais il a dû chercher pendant des heures sur internet alors qu’il est un initié de la performance énergétique ! C’est aberrant !
Les choses sont néanmoins en train de bouger dans les secteurs réglementés comme le logement social, le bâtiment tertiaire ou les immeubles collectifs mais ça n’avance pas assez vite dans l’habitat isolé et les copropriétés, premières victimes de la précarité énergétique. Il y a encore des copropriétés pour qui lancer des travaux de performance énergétique est inimaginable ! Il faut absolument communiquer sur les opportunités réelles de valorisation du patrimoine et de baisse de la facture énergétique.
Justement, quel jugement portez-vous sur l’augmentation des prix de l’énergie annoncée par EDF de 5% consécutifs en 2014 et 2015 ? Les chiffres fournis par EDF sont-ils fiables ?
Premièrement, il faut savoir que les prix de l’électricité sont libéralisés depuis l’ouverture progressive des marchés de l’énergie amorcée en 2000 et accélérée par la récente loi Nouvelle Organisation des Marchés de l’Electricité (NOME) en 2010. La loi NOME instaure suite aux remontrances de l’Union Européenne l’obligation pour les tarifs de couvrir les coûts de production. Cela produira inéluctablement une augmentation de ces tarifs et les rendra moins attractifs pour les consommateurs. En même temps, cela présente l’avantage de lisser l’augmentation dans le temps.
Les données sont effectivement fournies par EDF mais je ne partage pas les rumeurs sur l’opacité des chiffres. La Commission de Régulation de l’Energie (CRE), autorité de contrôle en charge de la surveillance de l’indépendance des fournisseurs d’énergie et du bon fonctionnement des marchés ne laisserait pas passer ce genre de pratiques. A noter aussi que la CRE est désormais en charge de la protection des consommateurs.
Selon moi, l’augmentation des prix est cohérente : on demande à EDF la continuité et la sécurité de l’approvisionnement, la modernisation du réseau et son adaptation aux nouveaux modes de production, que ce soit les véhicules électriques ou les énergies renouvelables. Dans le même temps, le nombre de consommateurs augmente et la production n’augmente pas, surtout si l’on réduit la production d’énergie nucléaire comme s’y est engagé le Président de la République.
L’augmentation de 5% consécutifs en 2014 et 2015 arbitrée par le gouvernement est même inférieure aux recommandations de la CRE qui préconise une augmentation de 30% d’ici 2020 pour couvrir les coûts.
A noter quand même que le gouvernement a prévu comme compensation d’élargir les tarifs sociaux de l’énergie à 4 millions de ménages pour ne pas faire peser cette augmentation sur les ménages les plus modestes et de réduire le coût des abonnements pour les petites puissances.
Vous avez une vision très pragmatique qui semble aller à contre-courant de certains points de vue d’associations de consommateurs…
A vrai dire, quand cela fait plus de 13 ans que l’on travaille dans l’énergie, on commence à avoir une vision globale de ce secteur très complexe. Effectivement, je pense que ça ne sert pas le consommateur de lui faire croire que l’on peut rester sur des tarifs réglementés qui n’augmenteront pas. Premièrement, ça va à l’encontre de la loi NOME et des normes européennes en vigueur, et plus globalement, mon rôle est aussi de faire comprendre que l’on ne vit plus dans le monde des Trente Glorieuses, de l’énergie pas chère et du pillage des ressources. Aujourd’hui, on commence à se rendre compte que les ressources s’épuisent et qu’on va devoir payer notre laxisme d’hier. Si on ne s’y prend pas au plus tôt, on le paiera d’autant plus cher demain.
D’ailleurs, est-ce que vous avez l’impression que l’augmentation des prix de l’essence a permis de modifier les pratiques de consommation ? On peut s’interroger sur le seuil de prix de l’énergie qui permettrait une réelle prise de conscience des enjeux.
Enfin, il faut comprendre que le gouvernement ne veut pas gonfler artificiellement le prix de l’énergie ! L’idée, c’est de lui donner sa vraie valeur tout en protégeant les plus modestes, ce qui est l’aboutissement d’une certaine logique cohérente à mon sens.
Êtes-vous favorable à la généralisation du compteur communicant Linky ?
Linky présente des avancées non négligeables dans la modernisation du réseau électrique. Le comptage de la consommation en temps réel permettra une gestion beaucoup plus intelligente de la consommation d’énergie grâce à des tarifs adaptés à chaque client et à l’instauration de dispositifs d’effacement électrique incitatifs pour éviter les pics de consommation très énergivores en hiver et de réduire les consommations au niveau national.
Mais je ne suis favorable à la généralisation de Linky que s’il présente également des avantages pour le consommateur : outre l’avantage de factures sur consommation réelle, les consommateurs doivent recevoir une information mensuelle (au minimum) sur leurs consommations. Le développement d’offres tarifaires doit aussi s’accompagner d’une qualification accrue des conseillers chez les fournisseurs, pour garantir au client que l’offre qu’il va souscrire est effectivement à son bénéfice et va lui permettre d’optimiser sa consommation.
Nous avons demandé en outre qu’ErDF propose au consommateur de suivre sa consommation en temps réel et qu’il ait pour cela le choix entre plusieurs modes de surveillance gratuits, que ce soit par un affichage déporté, internet ou la réception d’un SMS. L’arbitrage ministériel que nous attendions à l’issue du second comité de suivi « Linky » fait malheureusement défaut.
Enfin, je vais être très attentive à la mise en œuvre des mesures sur l’effacement électrique incluses dans la loi Brottes adoptée en avril dernier. En effet, Je suis très inquiète de l’une des modalités qui prévoit que les opérateurs d’effacement recevront des primes financées par une augmentation de la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE). Cela signifie que le consommateur se verrait reprendre d’une main, via la CSPE, les bénéfices réalisés en faisant l’effort d’effacer ses consommations. Et de fait, cela pénaliserait l’ensemble des consommateurs. J’ai déjà écrit à l’ancienne Ministre et je compte bien participer à la concertation prévue pour septembre prochain pour éviter qu’encore une fois ce soit les consommateurs qui trinquent !
Propos recueillis par Valentin Martinez
Pour aller plus loin
Le schéma ci-dessous publié dans le Monde du 6 juin 2013 fait le récapitulatif de :
- l’augmentation des coûts de production et de commercialisation de l’électricité entre 2007 et 2012
- les répercussions sur les tarifs réglementés bleus (pour les ménages) préconisées par la CRE et prévues par le gouvernement
En cause, les charges liées à la maintenance du parc de centrales, au changement de certains composants arrivant en fin de vie, les exigences complémentaires de sûreté intervenues après l’accident de Fukushima ainsi que les frais de personnel.
Le gouvernement a finalement arbitré deux augmentations consécutives de 5% en 2013 et 2014 et devrait reconduire la hausse en 2015 selon les dires du Président d’EDF Henri Proglio dans un entretien donné au Monde le 30 juillet 2013. La CRE préconise une augmentation plus forte : +9.6% en 2013, +3.2% en 2014 et 2015 et +7.6% au titre de 2012, soit plus de 20% sur 3 ans et 30% d’augmentation d’ici 2017 pour atteindre la couverture des coûts. Reste à savoir désormais si le choix du lissage dans le temps sera à la hauteur.
A noter que les entreprises seront mieux loties avec une augmentation de 2.3% des tarifs verts, que la France possède toujours l’électricité la moins chère d’Europe (environ 30% de moins que la moyenne européenne) et que le gouvernement a prévu quelques aménagements :
- les tarifs pour les petites puissances augmenteront plus légèrement
- les tarifs sociaux devraient être revalorisés et élargis à 8 millions de consommateurs dès l’hiver 2013 suite au rapport rendu le 17 juillet 2013 au Ministre de l’Ecologie Philippe Martin
- la tarification progressive des prix du gaz et de l’électricité retoquée par le Conseil Constitutionnel en avril 2013 par la censure de la loi Brottes n’est pas encore enterrée
En revanche, les révisions à la hausse régulière des charges d’exploitation et de démantèlement du nouveau réacteur nucléaire EPR et les recommandations de la Cour des Comptes d’augmenter la CSPE pour financer la montée en puissance des énergies renouvelables devraient amplifier ces augmentations. Ce qui est sûr, c’est qu’on est pas au bout de nos surprises !
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