Jacques Bucki est maire de Lambesc et représentant de l’Association des Maires de France au Débat National sur la Transition Énergétique. Il nous fait part de ses réflexions sur un modèle énergétique plus local et rationalisé qui profiterait tant aux collectivités locales qu’aux citoyens et aux entreprises. Il partage en outre les leviers d’un maire pour améliorer la performance des logements de sa ville.
Delphine Batho et Jacques Bucki lors de l’inauguration du premier Guichet Unique de la Rénovation Energétique le 15 avril 2013
Qu’est-ce que le Débat National sur la Transition énergétique auquel vous avez participé en tant que membre du Conseil National de la Transition Energétique et représentant de l’Association des Maires de France ?
Le Débat National sur la Transition Energétique avait pour objectif de réunir tous les acteurs de l’énergie pour penser le modèle énergétique français de demain dans tous ses aspects comme s’y ai engagé le Président de la République : sobriété et efficacité énergétique, quelles énergies renouvelables et quelle gouvernance de l’énergie ?
Je suis partisan de cette réflexion car je pense que nous sommes dans un temps charnière et que le monde de l’énergie est en profonde mutation. D’un modèle très centralisé avec des consommateurs passifs, on va passer désormais dans un modèle décentralisé avec différentes sources locales d’énergies renouvelables, un réseau modernisé et des consommateurs acteurs de leur consommation. Hier, c’était les outils qui étaient complexes, demain ce sera l’organisation des systèmes, ce qui nécessitera de ce fait un important travail d’ingénierie sur le plan juridique, technique et financier.
En tant que l’un des représentants de l’ensemble des communes, j’ai fait valoir les attentes et les besoins des collectivités territoriales et plus précisément des mairies et tenté de défendre un nouveau modèle d’économie circulaire alternatif au schéma actuel.
J’ai par ailleurs co-rapporté avec Damien Mathon (MEDEF) le groupe de travail « Quels choix en matière d’énergies renouvelables et de nouvelles technologies de l’énergie et quelle stratégie de développement industriel et territorial ? ».
Êtes-vous satisfait de la tournure du débat ?
Le Ministère a bien su piloter le processus mais soyons clairs, les objectifs ne sont pas atteints : 23% de la part des énergies renouvelables d’ici 2020 paraît improbable et je regrette le désintérêt des grands élus nationaux et des médias sur les questions essentielles : « Quelles politiques et quels moyens pour diminuer la consommation dans nos maisons, dans nos villes et dans nos industries ? », « Quelles nouvelles formes d’aménagement de nos villes et de nos territoires ? », « Quelle nouvelle organisation de vie ? » et enfin comment intégrer l’énergie comme politique transverse à toutes les politiques territoriales ?
Quels éléments ont entravé la pleine réussite du débat ?
Il y a deux éléments à prendre en compte. Premièrement, si vous regardez les participants des différents groupes de travail, vous verrez que ce sont pour plus de 90% des gens qui pensent l’énergie selon les schémas d’hier avec des débats stériles tels que « pour ou contre le nucléaire » qui nuisent à l’apport de nouvelles solutions. Il y a beaucoup de bonne volonté mais il a manqué un réel travail de prospection imaginatif, sérieux et tourné vers l’avenir.
Quant au Conseil National de la Transition Energétique et au Groupe de 42 experts associés, les participants ont démontré leur expertise et connaissance des sujets mais comment voulez-vous en 2 minutes présenter une réflexion qui mériterait des heures et des heures de débat ?
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le modèle d’ « économie circulaire » que vous défendez ?
Les expériences que j’ai menées dans ma ville m’ont fait comprendre que le modèle actuel de financement en l’état de la transition énergétique par le biais des entreprises privées et des CEE n’est pas optimal. En procédant à des études juridico-financières par les meilleurs experts, j’ai mis en avant le manque à gagner pour les collectivités et le citoyen.
Dans le système actuel, le financement des énergies renouvelables est issu en grande partie de la Contribution Sociale à la Production d’Electricité (CSPE). Elle est payée par le consommateur et permet de subventionner les tarifs de revente des producteurs d’énergies renouvelables. Or, les dividendes perçus par ces entreprises privées reviennent aux actionnaires et ne profite qu’à certaines communes privilégiées. De plus, ce système n’encourage pas l’implication du citoyen qui ne voit pas les bénéfices de sa participation financière via la CSPE.
J’ai donc créé un modèle alternatif qui apporte des solutions vertueuses tant sur le plan économique, environnemental que celui de la gouvernance. Je défends un système en partenariat avec les entreprises grâce la création de sociétés mixtes publiques-privées et citoyennes dont les profits sont reversés directement aux administrés et aux collectivités pour financer la transition énergétique sur les territoires.
L’idée, c’est de mieux flécher les investissements sur des projets plus rentables et de rétribuer aux citoyens les redevances de son investissement grâce la création d’un établissement public régional qui assure en outre une veille stratégique sur les potentiels de la région et assure une solidarité territoriale entre les communes ayant des ressources et celles qui n’en ont pas. C’est somme toute question de bon sens : pourquoi favoriser l’installation éparse de panneaux solaires photovoltaïques sur tous les toits de France à 200 euros le MW.h quand la région peut installer pour de moindres coûts d’installation des champs solaires à 80 euros le MW.h dans les zones les plus exposés au soleil. Un propriétaire fera une meilleure plus-value s’il participe au financement citoyen d’un champ photovoltaïque au meilleur rendement que payer un raccordement à RTE qui coûte très cher et un panneau solaire photovoltaïque à l’efficacité douteuse. Les collectivités territoriales sont les mieux placées pour cela : à énergie renouvelable décentralisée, une politique décentralisée !
Mais n’avez-vous pas peur de pénaliser les entreprises privées et d’une certaine manière de procéder à une collectivisation partielle de la production énergétique ?
On m’a déjà fait cette remarque mais permettez-moi de vous expliquer pourquoi mon modèle est bénéfique aussi pour les entreprises et les propriétaires : ce modèle rationalisé permet d’éviter les gaspillages de la CSPE et de faire des gains de mutualisation ! Cette manne de productivité, créant de nouveaux revenus va de ce fait se répercuter sur l’activité des entreprises et entretenir un cercle vertueux d’économie circulaire sur tout le territoire.
Les solutions existent, mais le véritable frein à mes yeux est culturel car cela bouleverse nos schémas très ancrés dans un modèle énergétique centralisé et privatisé. Or, à l’heure actuelle, la création de nouveaux outils juridico-financiers et la sensibilisation des individus fait encore défaut pour changer de paradigme.
Quels sont les leviers d’un maire pour améliorer la performance énergétique dans l’habitat ?
La mairie dispose de plusieurs marges de manœuvre. Le fer de lance aujourd’hui c’est le déploiement au niveau local du guichet unique de la rénovation énergétique qui a vocation à devenir l’interlocuteur unique des propriétaires qui se lancent dans un projet de rénovation.
Le deuxième levier à mon sens est d’intégrer l’«Approche Environnementale de l’Urbanisme », un outil de l’ADEME, au Plan Local d’Urbanisme qui met l’environnement au centre de l’élaboration du PLU. Il s’agit de réduire l’étalement urbain et de réfléchir à l’impact environnemental des constructions en repensant l’architecture, le dimensionnement, le positionnement des bâtis et les choix énergétiques.
Le troisième levier est la rénovation du parc public quand la Mairie est propriétaire et du parc social en modulant les aides à la pierre en fonction du respect des normes environnementales. Les bailleurs sociaux avaient obligation de construire en « BBC » avant l’entrée en vigueur de la RT2012 à Lambesc.
Enfin, la Mairie peut proposer des aides financières directes. Par exemple à Lambesc, un propriétaire qui avant la RT2012 améliorait la performance énergétique de sa construction bénéficiait :
- D’une bonification de son « Coefficient d’Occupation des Sols » de 20%
- D’une exonération de 50% de la part communale de la taxe foncière
Nous travaillons pour mettre en place un label de référence plus qualitatif encore (énergie, santé, confort) afin de pouvoir redonner ces avantages incitatifs.
Propos recueillis par Valentin Martinez
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